Hermias
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Toutes les villes ont besoin de sang. Certaines, conservatrices, se satisfont en pratiquant la chasse à l’ours ou le combat de coq. Rome emploie des gladiateurs et des arènes mais sa distraction favorite est bien plus sale et sanglante. Il s’agit de politique.
La veille des élections sénatoriales, la ville baignait dans l’excitation. L’heure était aux banderoles et aux défilés, aux discours et aux festivités, avec parfois une belle émeute traditionnelle pour clore la journée.
Dans les rues bondées, les tire-laine et autres détrousseurs s’en donnaient à cœur joie.
Les taverniers remplissaient leurs bourse et leurs établissements sans discontinuer.
Cette épidémie de fièvre électorale avait interrompu le travail pour tout le monde. Tout le monde sauf les gardes qui devaient travailler double pour empêcher Rome de se transformer en bataille rangée. Ou au moins retarder l’inévitable.
Loin de cette hystérie populaire, dans sa villa perchée sur les hauteurs du mont Palatin, le sénateur Caius Bracus, chef de fil du parti conservateur, observait pensivement la ville depuis sa terrasse.
Grand, brun et plus tout à fait aussi séduisant qu’autrefois, un bandeau noir dissimulait son œil droit et une série de vielle cicatrices courraient sur le même coté, leur tracé pale se détachant sur une peau bronzée.
Il porta une coupe de vin à ses lèvres. Il avait un goût amère, celui de la défaite.
Caius Bracus savait déjà que son parti n’obtiendrai pas la majorité au sénat.
Ils allaient faire les frais d’une république populiste ou le pouvoir ne s’obtenait plus grâce à la force de vos idéaux mais aux célébrités qui vous soutenaient.
L’issue des élections était trop liée aux combats de gladiateurs. Le champion actuel avait aligné 200 victoires, il était riche, puissant et adulé par la plèbe qui le considérait comme un demi-dieu. Son seul tort pour le sénateur était qu’il combattait pour le parti populiste…
Caius Bracus sourit tristement en pensant qu’il avait s’en doute sa part de responsabilité dans cette dérive. Il avait lui aussi connu la gloire en d’autres temps mais à 55 ans, il n’était plus question de revêtir son armure pour combattre dans l’arène.
Il me faut un champion songea-t-il et par Mars où que tu sois dans Rome, tu viendras à moi !
*
- Au voleur ! attrapez le !
La bourse en main, Hermias détalla comme un lièvre tandis que trois gardes se lançaient à sa poursuite.
Sa mère l’harpie ! Ce gros lard de marchand n’était pas aussi ivre qu’il en avait l’air ! songea le jeune homme tandis qu’il accélérait sa course.
A Sparte, la ville dont il était originaire, les jeunes étaient encouragés à voler, ne recevant des coups de fouet que pour les punir de s’être fait prendre mais ici à Rome il irait sûrement servir de repas aux lions !
Hermias bifurqua dans une ruelle étroite, obligeant ses poursuivants à passer en file indienne.
Le premier garde était maintenant sur ses talons. Contre toute attente, Hermias choisi de faire volte face et lui décocha un terrible uppercut, le stoppant net dans sa course. Le garde trop surpris pour réaliser quoique ce soit fit un tour sur lui-même et s’écroula la mâchoire fracturée.
Le deuxième garde attaqua Hermias d’un coup de glaive qu’il porta au niveau de la tête.
Le jeune homme bloqua l’attaque en saisissant fermement le poignet de son adversaire, il pivota et projeta son épaule sur l’articulation du bras qui prit en étau céda sous la violence du choc. Le garde hurla et lâcha son arme.
Hermias la ramassa et se teint prêt à affronter le dernier homme qui était muni d’une lance.
Il lui faudrait raccourcir la distance pour avoir l’avantage au corps à corps.
- Rend toi ou meurt !
- Viens me chercher fils de catin !
- Fait ce qu’il te dit !
Merdum ! D’autres gardes alertés par les bruits du combat avaient fait irruption par l’autre extrémité de la ruelle. Il était cerné et n’avait aucune chance, il jeta son glaive à terre et reçut aussitôt un coup sur la nuque qui le fit sombrer dans l’inconscience.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, Hermias constata qu’on l’avait jeté dans un cachot. Sa cheville était attachée à une lourde chaîne solidement fixée au mur par un anneau. Il n’avait pour ainsi dire aucune liberté de mouvement.
En plus de l’humidité, une odeur rance agressait son odorat. On aurait dit un mélange d’urine et de chair en décomposition, l’odeur de la mort…
De fait, lorsqu’il se fut accoutumé aux ténèbres qui régnaient dans sa geôle, il remarqua les restes d’un cadavre sur lequel festoyait une meute de rats.
Il ne savait combien de temps il était resté inconscient, mais il percevait les acclamations d’une foule provenant de quelque part au dessus de lui.
Il devait très certainement se trouver dans la prison souterraine de l’arène du Colisé.
Après des heures d’attente qui lui semblèrent interminables, la porte du cachot s’ouvrit et trois gardes entrèrent.
Etaient-ils venus le chercher pour le conduire aux lions ?
L’un d’eux lui envoya un coup de pied dans les cotes.
- Aller, debout vermine ! Suis nous et tiens toi tranquille si tu ne veux pas tâter de mon glaive !
Toujours enchaîné, Hermias fût conduit dans une pièce où l’attendait un homme richement vêtu. Un bandeau noir masquait son œil droit et des cicatrices de combats passés striaient sa joue.
Vu l’âge respectable qu’il avait atteint, cet homme avait certainement été un excellent combattant. Peut-être l’était-il toujours d’ailleurs, mieux valait ne rien tenter dans l’immédiat et attendre de voir ce qu’il lui voulait.
- Je suis Caius Bracus, sénateur de Rome et toi tu t’appelle Hermias, tu as dérobé hier soir une bourse de 350 pièces d’or à un citoyen romain et agressé 2 gardes qui tentaient de t’arrêter. En vertu des lois de Rome, tes actes te condamnent à la peine de mort !
Caius Bracus fit une pause en regardant sévèrement Hermias pour que ce dernier réalise bien la situation dans laquelle il s’était mis. Mais quand d’autres se seraient jetés à terre en implorant la pitié, le jeune homme se contenta d’un haussement d’épaule.
- Quel âge as tu ?
- 17 ans
Le sénateur dissimula sa surprise. Ce garçon en plus d’avoir des nerfs solides avait mis deux soldats aguerris au tapis et il n’avait que 17 ans !
- Tu es Athénien ?
Un éclair de colère passa rapidement dans le regard d’Hermias.
- Spartiate, corrigea- t-il.
Caius Bracus esquissa un sourire, il s’était attendu à cette réponse.
- Ne penses tu pas être un peu jeune pour mourir Hermias de Sparte ?
Le jeune homme haussa à nouveau les épaules.
- Peu importe quand frappe la mort du moment qu’on l’accueille une arme à la main.
Caius Bracus acquiesça, ce garçon était peut-être le champion qu’il recherchait.
- Je vais te faire une offre mon garçon. En tant que sénateur, il est en mon pouvoir de racheter ta vie à Rome, ce qui veut dire qu’elle m’appartiendra. Tu suivras un enseignement martial dans l’école de gladiateurs la plus prestigieuse de la ville et tu combattras dans l’arène pour moi. Tu devras faire tes preuves chaques jours pour rester en vie mais si tu as quelques dons comme j’en ai l’impression, tu n’auras plus jamais besoin de voler pour te nourrir.
Apres une courte pause, il rajouta en le fixant dans les yeux.
- Tu devrais saisir ta chance mon garçon, crois-en mon expérience…
Hermias observa les cicatrices sur le visage du sénateur et esquissa un sourire.
- J’accepte de vous servir et vous reconnaît un droit de vie et de mort sur moi.
Alea jacta est, il serait gladiateur.